· 

Succession du Tracker S-2FT de la Sécurité Civile : le Dash 8-Q400 MR, est-il le bon remplaçant ?

Note :  l'article suivant a été adapté à la presse papier. Vous le retrouverez ainsi dans le Hors-série n°25 de la revue Soldats du Feu Magazine, sortie en mai 2021 !

03/08/2019 – BSC Nîmes, Aéroport Nîmes-Garons (France, 30) | Atterrissage du Dash 8-Q400 MR "Milan 75" après une sortie GAAR

Cet article a pour objectif de mettre en avant les avantages souvent omis ou ignorés du Dash 8-Q400 MR, sans pour autant plaidoyer contre le Tracker S-2FT.

Les limites de l’appareil seront également abordées.

La démonstration se terminera par une brève énumération d’alternatives au Dash 8, qui, nous le verrons, ne sont pas si évidentes que cela !

Contexte

Les Tracker S-2FT de la Sécurité Civile affichent au compteur une moyenne d’âge de près de 60 ans.

Le surcoût d’entretien généré par ceux-ci (certaines pièces n’étant plus produites ou difficiles à trouver) a nécessité de penser leur renouvellement.

A échéance 2022, sinon avant, l’ensemble des Tracker S-2FT seront retirés de service.

L’appel d’offre ainsi formulé par le Ministère de l’Intérieur désignait clairement comme successeur le Dash 8-Q400 MR, déjà en service au sein de la Sécurité Civile. C’est donc sans surprise qu’il fut choisi.

Rappel

Fig. 1 – Différents types d’appareils pour différents types de missions 

Appareil

Tracker S-2FT

Dash 8-Q400 MR

Canadair CL-415

Type

Petit porteur « terrestre »

Gros porteur « terrestre »

Moyen porteur amphibie

Mission

- Attaque de feux naissants

- GAAR (Guet Aérien Armé Retardant)

- Pose de lignes appui retardant

- Attaques de feux naissants

- GAAR

- Pose de lignes appui retardant

- Capacité Multi-Rôles (MR)

- Attaque directe et massive d’incendies déjà établis.

- Possible GAAR


De quels atouts disposent le Dash 8-Q400 MR face au Tracker S-2FT ?

Une capacité d’emport accrue

Le Dash est capable de charger environ 3 fois plus que le Tracker, soit un plus de 10 tonnes contre seulement 3.3 tonnes pour ce dernier.

Une motorisation plus puissante

Type d’avion

Tracker S-2FT

Canadair CL-415

Dash 8-Q400 MR

Nb moteur / Puissance (ch)

2 * 1424 = 2848 ch

2 * 2420 = 4840 ch

2 * 5072 = 10 144 ch

Masse max. (kg)

12 500 kg

20 000 kg

30 500 kg

Rapport poids / puissance

0.23 ch/kg

0.24 ch/kg

0.33 ch/kg

Ainsi, le Dash possède un rapport poids/puissance de, respectivement, 44 % et 37,5 % supérieur à celui du Tracker et du Canadair.

Concrètement, cela signifie qu'il dispose d’une réserve de puissance accrue, loin d’être sans importance en cas de problème technique (ex : panne moteur) ou humain (ex : erreur de jugement des distances) lors des passes « critiques » que sont celles de largage.

Un déploiement plus rapide

Le Dash est à même d’atteindre les 340 kts, soit 630 km/h.

Cependant, il reste soumis à la réglementation aéronautique interdisant de franchir les 250 kts (463 km/h) à une altitude inférieure à 10 000 pieds (~ 3000 mètres).

De son côté, le Tracker français transite vers un feu à une vitesse d’environ 180 kts (333 km/h).

Ainsi, le Dash reste au minimum 40 % plus rapide que son homologue.

Fig. 2 – Rayon d’action : Dash 8-Q400 MR versus Tracker S-2FT

Or, avec le changement climatique, la zone de vulnérabilité ou dite sensible aux feux de forêts tend à progresser vers le Nord et l’Ouest du pays.

Selon une projection réalisée communément en 2010 par Météo France, l’Office National des Forêts et l’Inventaire Forestier National sur le Changement climatique et [l’] extension des zones sensibles aux feux de forêts, ces dernières pourraient augmenter de 30 % d’ici 2040 à 50 % à l’horizon 2050.

Il semblerait alors que les Landes de Gascogne (en partie ou en tout) constituent un territoire à fort risque au même titre que le pourtour méditerranéen. 

Fig. 3 – Prévisions : vers une extension des zones sensibles aux feux de forêts


Dans une telle optique, atteindre ces nouveaux espaces à risque le plus rapidement possible devient un véritable enjeu.

Le Dash 8-Q400 MR, avec un rayon d’action étendu, apporte une réponse plus cohérente. Il s’inscrit pleinement dans une démarche à long terme où, si elle reste difficile à définir, l’anticipation est le mot d’ordre.

Capacité Multi-Rôle (MR)

Le Dash 8-Q400 MR, c’est 7 configurations différentes, dont 6 que ne possèdent pas Tracker et Canadair français, permettant de réaliser :

  • De la lutte contre les feux de forêts avec une soute amovible de 10 053 litres et un système de largage RDS (Advanced Retardant Delivery System) – configuration AIRTANKER ;
  • Du transport de passagers (max. 64) : forces de l’ordre, pompiers, personnalités politiques, migrants (reconduite aux frontières), médecins et équipes de secours dans le cadre de missions sanitaires (ex : en 2014 pour le virus Ebola à Conakry en Guinée ou encore en 2010 pour le séisme en Haïti) – configuration PASSAGERS ;
  • Du transport de passagers (max. 64) avec soute ABE équipée mais laissée vide comme lors des transits vers la Réunion – configuration PASSAGERS + TANK (uniquement disponible sur les nouveaux modèles) ;
  • Du transport de fret (max. 9.5 tonnes), également dans le cadre de missions sanitaires (Guinée) ou, autre exemple, d'opérations de déminage (Conakry, Guinée en mars 2014) - Configuration FRET
  • Du transport de passagers et de fret de manière simultanée (max. 19 PAX + max. 4085 kgs) – configuration COMBI ;
  • Du transport de passagers et de fret de manière simultanée (max. 19 PAX + max. 4085 kgsavec soute ABE équipée laissée vide – configuration COMBI + TANK (uniquement disponible sur les nouveaux modèles) ;
  • De l’évacuation sanitaire (max. 6 civières médicalisées + 32 PAX) – configuration EVASAN (uniquement disponible sur les nouveaux modèles).

Fig. 4 – Les configurations du Dash 8-Q400 MR sur maquette CONAIR (AFF Europe 2019)

Fig. 5 – La cabine du Dash 8-Q400 MR en configuration ABE

Une plus grande disponibilité

Qui dit avion plus récent et commercialisé en série, ne dit pas systématiquement moins de soucis techniques.

En revanche, il est plus aisé de trouver les pièces nécessaires à la maintenance et les opérations de dépannage s'avèrent bien souvent plus courtes.

Le délai d’indisponibilité des aéronefs de type Dash s'en retrouve donc réduits.

Une avionique technologiquement plus avancée

Fig. 6 – Des spécificités héritées de l’avion de ligne Dash 8-Q400

Appareil

Dash 8-Q400 MR

Tracker S-2FT

Suite électronique aéronautique

Oui ("Glass Cockpit")

Non (instruments analogiques)

Pilote Automatique

Oui

Non

Certification IFR (vol aux instruments)

Oui

Oui, mais ne répondra plus aux normes IFR du futur 

Certification vol en condition de givrage

Oui, sauf version AIRTANKER et COMBI pour le moment

Non

Aux premiers abords, ces équipements et certifications n’apparaissent pas comme primordiaux à la lutte contre les feux de forêts.

Et pourtant, sans ces « outils », l’acheminement d’un quelconque avion bombardier d’eau vers La Réunion pour la saison des feux, entre octobre et décembre, serait presque impossible, laissant l’île française en proie à d’incendies pouvant s’avérer dévastateurs.

 

« Oui, mais quand bien même les Tracker ne peuvent pas être envoyés, qu'en est-il des Canadair ? »

Techniquement, cela serait tout-à-fait possible.

Cependant, je rappelais dans un précédent article (dernière partie) que comparativement au Dash, il fallait au moins deux fois plus de temps pour s’y rendre en Canadair sans compter qu’un détachement de 2 CL-415 au strict minimum serait nécessaire.

Par ailleurs, ces instruments sont également utiles pour les vols métropolitains où les conditions météorologiques ne sont pas forcément bonnes sur l'ensemble du trajet.


Critiques et limitations : entre idées reçues et réalité

Avion trop imposant et maniabilité réduite ?

Sans surprise, le Dash 8-Q400 MR dispose d’une maniabilité moindre par rapport à l’avion embarqué qu’est le Tracker S-2FT.

Néanmoins, l’avion de la firme de Havilland Canada intervient depuis juillet 2005, soit depuis sa mise en service, sur des feux de forêts de l’arc méditerranéen, en domaine préalpin, en Corse ou encore, depuis 2010 à La Réunion.

Il suit également les mêmes circuits d’entraînement que ses collègues les Turbo Firecat.

Et puis, comme évoqué précédemment, l’excédent de puissance dont il bénéficie permet de contrebalancer quelque peu cette faiblesse : au lieu d’effectuer un virage de dégagement à 75° après une passe de largage, une ressource au meilleur angle de montée (c’est-à-dire à la vitesse qui permet de monter à une altitude donnée sur la distance horizontale la plus courte) pourrait être suffisante.

Sans compter que, étant certifié pour, rien n’empêche le Dash 8-Q400 de réaliser des virages à 60° sans la moindre difficulté.

Fig. 7 – Virage à 60° versus virage à 75°


En revanche, en condition de turbulence, le facteur de charge auquel est limité le Dash 8-Q400 MR (2.4 G) pourrait effectivement poser souci.

Pourtant, en 15 ans d'opérations, celui-ci n'a que très (vraiment très) rarement été dépassé.

 

Par ailleurs, notons que l’un de ses prédécesseurs, le Douglas DC-6, à la silhouette plus imposante encore, réalisa au sein de la Sécurité Civile les mêmes missions au sein du même environnement.

Nous pouvons également évoquer le cas du Fokker F27, de taille légèrement plus modeste, auquel le Dash succéda il y a près de 15 ans ou encore celui du Lockheed C-130 Hercules en contrat de location saisonnier entre 1990 et 1996 et 1998 et 2000.

Fig. 8 – Le Dash 8-Q400 MR, un avion trop imposant pour la lutte contre les feux de forêts en France ?

Nota bene : seules les proportions d’envergure et de longueur sont strictement respectées.

Enfin, il faut garder en tête qu’avant d’intégrer la flotte, chaque avion est testé préalablement par des pilotes de la Sécurité Civile. 

Si ces derniers avaient jugé l’avion impropre à la lutte contre les feux de forêt dans l’environnement que l’on connaît, le Dash 8-Q400 MR aurait tout simplement été écarté, à l’image du Beriev Be-200, testé en 2011 pour succéder au Canadair ou encore de l’Air Tractor AT-802F expérimenté en 2013 pour remplacer le Tracker.

Etude de cas – Suivi de l’intervention du Dash 8-Q400 MR sur le feu de Lucéram le 13 août 2017

Pour mieux comprendre - Coupe ou Profil topographique ?

Tout le monde n'est pas forcément familier avec le terme de "coupe" ou "profil topographique".
C'est pourquoi, avant d'aller plus loin, je vais tenter de clarifier ça avec vous.

 

Du coup, une coupe ou profil topographique, c'est quoi ?

Et bien c'est tout simplement une méthode de représentation du relief.

Pour visualiser un peu la chose, faisons appel à notre imagination.
Prenez une maquette 3D de la France et munissez-vous d'une ficelle.
A présent, supposez vouloir aller d'un point A à un point B, en ligne droite, à travers le paysage (par conséquent, pas à vol d'oiseau).

Vous allez donc devoir suivre avec votre ficelle les imperfections du terrain, de notre chère planète, franchir des "creux", des vallées et des sommets.

Si vous regardez maintenant de profil votre morceau de ficelle qui joint "Point A" à "Point B", vous observez ces changements d'altitudes. Par exemple, si pour aller de "Point A" à "Point B", j'ai dû franchir une vallée, ma ficelle va représenter une sorte de "V" : ça descend, on atteint le fond de vallée, puis ça remonte.

 

Et bien sur les graphiques suivants, même principe ! J'ai tout simplement dessiné ce que j'ai vu de profil grâce à ma ficelle imaginaire ! 

 

J'espère avoir pu vous éclaircir, et si ce n'est pas le cas, je vous invite à jeter un coup d'oeil à cette vidéo !

Fig. 9 – Localisation des coupes topographiques

Fig. 10 – Coupe topographique n°1

Trajectoire d’approche au largage

Fig. 12 – Coupe topographique n°3

Trajectoire et travers trajectoire largage

Fig. 14 – Coupe topographique n°5

Trajectoire d’approche au largage

Fig. 11 – Coupe topographique n°2

Travers trajectoire d’approche au largage

Fig. 13 – Coupe topographique n°4

Travers trajectoire largage

Fig. 15 – Coupe topographique n°6

Trajectoire de sortie post-largage


Fig. 16 – Largage du Milan 73 (trajectoire en travers de la coupe topographique n°4)

En revanche, il serait tout-à-fait erroné d’affirmer que le Dash 8-Q400 MR est adapté en toutes circonstances.

Il est arrivé au Dash de se retrouver en difficulté sur certains feux, comme celui de Castagniers en 2017, où les Tracker S-2FT semblaient effectivement plus adaptés.

Est-ce que cela fait pour autant du Q400 un mauvais avion pour la lutte contre les feux de forêts ? A mon humble avis, non.

Un prix d’achat excessif ?

C’est probablement la critique la plus objective que peut recevoir le Dash 8-Q400 MR avec les informations que l’on possède.

Pour rappel, la France a confirmé le 25 juillet 2017 l’achat de 6 Dash 8-Q400 MR au prix de 400 millions d’euros, soit 66.67 millions d’euros par aéronef.

Sur ces 66.67 millions d’euros, on compte évidemment le coût de l’appareil en lui-même et celui du dispositif de largage. Il faut aussi y incorporer les dépenses associées aux modifications et certifications des configurations transport qui ne sont pas celles d'origine sans oublier les frais liés à la nouvelle configuration EVASAN.

Commençons par le prix de l’avion au standard commercial (non modifié).

Selon les chiffres divulgués officiellement, Conair (firme chargée de la conversion des Q400 en ABE) aurait commandé les 6 futurs Dash 8 de la Sécurité Civile à Bombardier pour une somme de 206 millions de dollars, soit 182 millions d’euros (basé sur le taux de change, 1 € = 1,13 $US). Cela correspond à un plus de 30 millions d’euros par appareil, un montant que l’on retrouve dans la fourchette haute de prix des ententes d’achat passées entre le constructeur aéronautique Bombardier et les compagnies aériennes commerciales (ex. 1 : Luxair en 2015 ; ex. 2 : CemAir en 2017 ; ex. 3 : Ethiopian Airlines en 2018).

Quant aux trois autres vecteurs de dépenses, il est difficile d’avancer de quelconques chiffres.

Si ce n’est que, de mémoire et malheureusement sans aucune source à l’appui, le système de largage RADS équipé sur les C-130 américains, assez similaire au système présent sur nos Q400 MR, coûte entre 1 et 2 millions de dollars US.

 

Pour récapituler, on a donc un avion vendu une trentaine de millions d’euros unité et un système de largage à possiblement deux millions d’euros. Total : 32 millions d’euros. Si l’on soustrait ce montant aux 66.67 millions d’euros, il nous reste 34.67 millions d’euros « libres ».

Vous l’aurez compris, il s’agit là d’un montant amplement suffisant pour assurer le financement des configurations diverses.

Et quand bien même un contrat de maintenance aurait été conclu avec le constructeur aéronautique – ce qui soi-disant passant serait surprenant à mon sens (Sabena Technics positionnée sur Nîmes-Garons s’en occupant déjà depuis plusieurs années) – je doute qu’un tel contrat puisse constituer près de 50 % du prix final.


Quelles alternatives ?

Le Lockheed C-130 Hercules

Dans les années 2000, trouver un successeur au Fokker F27-600 vieillissant est un sujet d’actualité.  

 

En théorie, le C-130 se présente comme une opportunité de choix. Pour faire court, il s’agit d’un avion polyvalent et performant à rampe arrière avec capacité d’emport accrue pouvant se poser sur tout type de surface et sur de courtes distances.

 

En pratique, il en est tout autre.

Le 13 août 1994, « Tanker 82 », un C-130A est détruit alors qu’il se rend sur un feu à Kern County, non loin des montagnes Tehachapi, en Californie.

Le crash fait 3 victimes, les membres d’équipages.

Ce n’est que quelques années plus tard que le motif de l’accident est clairement identifié : des fissures au niveau du caisson de voilure (wingbox en anglais, partie joignant les deux ailes au fuselage) dues à la fatigue des matériaux ont fini par avoir raison de l’aile droite qui s’est alors séparée du fuselage en plein vol.

Le 6 Septembre 2000, de l’autre côté de l’Atlantique, en France cette fois, « Hercules 82 », un C-130A loué par la Sécurité Civile pour la saison des feux, s’écrase dans le relief alors qu’il intervient sur un feu en Ardèche.

Par chance, deux des quatre membres d’équipage ont survécu.

Si cette fois, il ne s’agit pas d’une défaillance structurelle (il semblerait que l’équipage fut ébloui par le soleil et gêné par la fumée dans la trajectoire les menant à la zone du feu), il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un second accident impliquant un C-130A.

Le 17 juin 2002, la série noire continue. « Tanker 130 », un énième C-130A subit le même sort que Tanker 82 alors qu’il lutte contre un feu près de Walker en Californie.

Bilan : 3 morts, à nouveau les membres d’équipage.

Il se trouve en sortie de passe de largage lorsque les deux ailes se disloquent. Ici encore, les causes du crash se révèlent être des « fissures de fatigue » (fatigue cracks) liées au stress que génèrent les manœuvres d’approche, de largage et de sortie de zone de feu.

Si l’avenir du C-130 en France semblait déjà compromis, c’est bien ce dernier crash avec celui du Tanker 123, un Consolidated PB4Y-2 Privateer, un mois plus tard, qui scelle son destin : la grande majorité des bombardiers d’eau lourds, dont le C-130A, sont bannis des contrats US. Ils le resteront une dizaine d’année.


Outre ces tristes évènements, d’autres facteurs entrèrent en jeu.

 

Tout d’abord, l’Hercules était un avion encore très recherché à l’époque. Trouver des modèles récents, qui plus est à un prix abordable constituait un défi de taille.

Par ailleurs, récupérer un appareil militaire performant, parfait ! Encore faut-il s’occuper de sa certification civile. Cela ne paraît pas grand-chose énoncé de la sorte ; pour autant, cela représente un coût supplémentaire non négligeable sans mentionner les potentielles complications administratives allant de paires.

Autre facteur jouant toujours aujourd’hui en la défaveur du transporteur militaire américain, sa motorisation. S’équiper de quadrimoteurs signifierait inévitablement une augmentation des coûts de maintenance et d’entretien sans évoquer une consommation de carburant dupliquée.

D’ailleurs, dans l’appel d’offre pour la succession du Tracker, il est très clairement précisé que l’aéronef devait être un bimoteurs !

« Et pourquoi pas la nouvelle version civile du C-130J-30, le LM-100J ? »

Si cette version présente bon nombre d’avantages à commencer par une avionique et une motorisation modernisées ainsi qu’une version dérivée « FireHerc » spécifiquement destinée à la lutte contre les incendies, elle ne résout en rien le souci de surcoût lié à la configuration quadrimoteurs.

En revanche, le prix de vente d’un LM-100J (non équipé de son système de largage RADS associé à la version « FireHerc ») tournerait autour des 65 millions de dollars US (57,5 millions d’euros). Un prix relativement attractif quand on sait qu’on payerait 10 millions de plus pour un Dash.

 

Mais le critère éliminatoire fut moins technique qu’administratif ici. En effet, le vol inaugural n’eut lieu que fin mai 2017 et à la mi-2019 l’avion attendait toujours sa certification

16/06/2019 – Salon du Bourget, Aéroport Paris-Le Bourget (93, France)

Le Grumman S-2T Turbo Tracker

Il s’agit là du modèle de Tracker dont dispose le Cal Fire aux Etats-Unis, une version plus puissante pouvant emporter jusqu’à 4.4 tonnes de produit.

 

Si vous jetez à nouveau un coup d’œil à l’appel d’offre cité en début d'article, vous comprendrez que certains critères primordiaux ne sont pas respectés, à commencer par la capacité multi-rôles… On pourrait donc s’arrêter sur ce constat mais il s’agirait là d’une explication quelque peu minimaliste, quoique tout-à-fait légitime.

Essayons donc d’aller plus loin !

On aurait pu imaginer remplacer nos Tracker vieillissants par… de nouveaux Tracker ! Quelques cellules stockées aux Etats-Unis n’attendent qu’une chose, être remises en état.

A titre d’exemple, à la demande du Cal Fire, DynCorp International s’est chargée du processus de réhabilitation et de mise au standard S2-T de la cellule du Tanker 79, remplaçant du Tanker 81 perdu le 7 octobre 2014 dans un accident.

Mais il y a un hic. Le Grumman Tracker dispose déjà d’une belle carrière derrière lui. Pour rappel, les Tracker français ont en moyenne 60 ans ! Les remplacer par des avions du même âge, même modernisés… Pas facile à expliquer sur le plan politique et au contribuable français.

Pourtant, l’opération s’avèrerait peu coûteuse : 8 millions de dollars par avion étaient suffisant il y a quelques années.

Ceci dit, pas certain que les difficultés liées au manque de pièces détachées ou aux délais de livraison pour la maintenance auraient été résolu à termes.

Autre point, contrairement au Tracker, qu’il s’agisse de la version française (S-2FT) ou de la version américaine (S-2T), le Canadair CL-415 et le Dash 8-Q400 sont tous deux équipés d’une variante du moteur Pratt & Whitney Canada PW100, le PW123AF pour le premier et le PW150A pour le second.

On pourrait donc imaginer que des économies soient réalisées sur la maintenance : plus besoin de faire appel à des mécaniciens « qualifiés » sur PT6 (turbopropulseur du Tracker français). 

Cependant, les Beechcraft 200 Super King Air sont eux aussi équipés de la PT6...

18/03/2018 – Ryan Air Attack Base , Aéroport Hemet-Ryan (Californie, USA) | Les Tracker US font le plein en retardant par la queue et non via les flancs comme les français !

Pour aller plus loin : le Boeing 737, une alternative intéressante

Il s’agit là de l’avion de ligne à réaction le plus vendu de l’histoire. Et avec la mise en retraite progressive de l’aviation de ligne/cargo des versions les plus anciennes s’ouvre un marché de cellules et de pièces détachées à fort potentiel.

C’est ainsi qu’il y a près de deux ans, l’entreprise aéronautique canadienne spécialisée dans la lutte contre les incendies, Coulson, a acheté auprès de Southwest Airlines 6 Boeing 737-300 dans le but d’en faire des bombardiers d’eau !

Conversion faite, on obtient un avion équipé d’une soute RADS de 15 000 litres soit d’une capacité d’emport de 50 % supérieure à celle du Dash.

Capable de voler à 478 kts (885 km/h) en croisière, le 737-300 « Fire Liner » dispose également d’une autonomie des plus flatteuses : 4h30, soit 1h30 de plus que son homologue turbopropulsé.

Une combinaison qui, selon moi, compense largement le fait qu’il n’aurait pas accès à toutes les plateformes aéroportuaires munies de pélicandrome.

Mais le plus impressionnant reste son prix d’achat avant conversion : 3 millions de dollars US selon le CEO et président Wayne Coulson !

Certes, on parle d’aéronefs d’occasion mais cela reste 10 fois moins cher qu’un Dash 8-Q400 pour un avion qui se présente à priori plus performant et qui pourrait lui aussi être décliné en version « MR ».

09/2018 –  Le Tanker 137, premier Boeing 737 converti en phase de test

Fig. 17 – Dash 8-Q400 MR et Boeing 737-300 « Fire Liner », des appareils aux dimensions similaires

Malheureusement, il existe encore en France un blocage culturel qui ne permet pas à l’heure actuelle d’envisager sérieusement ce genre de solution. 


En bref, le choix du Dash 8-Q400 MR s’avère être un choix logique qui s’inscrit dans une vision à long terme.

Une sorte de rééquilibrage des missions déléguées à la Sécurité Civile semble s’opérer. Il ne faut pas perdre de vue qu’il ne s’agit pas seulement d’un organisme chargée de combattre les feux de forêt, à l'instar du Cal Fire aux Etats-Unis. 

En revanche, c’est la dissolution totale de la flotte de petits porteurs, celle des Tracker S-2FT, qui risque de poser souci.

mentions speciales - REMERCIEMENTS

Francis ARNOULD, Frédéric MARSALY

Commentaires: 4
  • #4

    Benjamin Kadouch_Pélican Photos - Côté Presse (vendredi, 11 septembre 2020 11:05)

    Réponse à : Bertrand LUN.

    Désolé pour la réponse un peu tardive...

    Alors, Airbus a opté pour une solution modulaire avec un « kit bombardier d’eau ».
    On a donc deux réservoirs amovibles de 3500 L chacun, installés en interne, dans la soute à cargo (à l’inverse du Dash).
    Et pour pouvoir assurer le largage (eau ou retardant), une trappe a été percé dans la carlingue.
    Cette configuration permettait à Airbus de garder comme argument de vente le côté « Multi-Rôle » de son Casa : hors saison, il pouvait retourner faire du transport de fret/passagers, de la surveillance maritime ou que sais-je encore !

    Quant au système de largage, ADS semblait initialement favorable à un mécanisme par gravité (ex. Tracker, Canadair).
    Finalement, Airbus s’est associée à Coulson (société canadienne travaillant dans le domaine de la lutte anti-incendie) pour équiper le C295 du RDS (Retardant Dropping System) ; un système similaire à celui présent sur nos Dash (à la différence qu’il est développé par Conair et non par Coulson) et qui permet notamment d’ajuster le débit de produit extincteur largué.

    Voilà, j'espère avoir été clair ! J'aurais aimé pouvoir illustrer ça avec un schéma made in Airbus mais Jimdo ne permet malheureusement pas l'ajout d'images dans les commentaires...

  • #3

    Bertrand LUN (mardi, 08 septembre 2020 10:56)

    Question à Benjamin Kadouch

    Quels types de citernes d'eau ont été installés pour les essais avec le CASA 295M et quel le type d'ouverture utilisé pour le largage ?

    Merci benjamin

  • #2

    Benjamin Kadouch_Pélican Photos - Côté Presse (vendredi, 14 février 2020 10:56)

    Merci à vous Jean-marie !

    Effectivement, en 2013, Airbus proposa une version bombardier d'eau de son CASA 295M.
    Il remplissait le cahier des charges de l'époque mais seuls quelques largages de démonstration furent effectués...
    Côté Ministère de l'Intérieur/Sécurité Civile, il me semble que cela n'attira pas la foule non plus.
    Pas facile pour Airbus, nouveau sur le marché de niche des bombardiers d'eau, de s'installer face à Conair, reconnu dans le domaine, avec son Dash 8-Q400MR déjà en service au sein de la Sécurité Civile...

  • #1

    Duborgel Jean-marie (jeudi, 13 février 2020 17:28)

    Merci pour cet article très intéressant et fort bien documenté.
    N'avait-il pas été évoqué également la piste du CASA CN-235 pour succéder aux Trackers ??
    Bien cordialement